19 septembre 2024

Pourquoi le rap n’aime plus les médias ?

Pourquoi le rap n’aime plus les médias ?

Les médias rap sont-ils finito ? Bien évidemment que non, mais leur relation avec les artistes est en « situation compliquée ».

De la qualité de la curation de PÉPITEfr à la rigueur rédactionnelle de l’Abcdr en passant par la diversité chez Raplume, le rap bénéficie d’un écosystème médiatique riche. Alors pourquoi la question est dans toutes les bouches ? Parce qu’en plus de la défiance envers les médias, on observe des tendances qui le remplacent. Des artistes comme Ben PLG qui créent leurs propres formats comme le repas de famille. Le public s’oriente de plus en plus vers des contenus librement incarnés par des créatrices comme Camille Emilie.

Crise de légitimité, bataille d’algorithmes, ère du bad buzz : voilà diverses raisons qui expliquent pourquoi, pourtant, les artistes rap semblent détester les médias.

Rapport aux médias rap : la jurisprudence PNL

“On parle pas trop”, “pas d’interview”, “je laisse la musique parler”… voilà quelques années que les artistes rap se font plus discrets. Depuis la jurisprudence du Singe de PNL à Planète Rap (18/11/2015), les lois de la promotion ont changé.

En fait, ce moment a fait comprendre aux artistes que le mystère plaisait au public. Et cette stratégie est intervenue à un moment où la défiance envers les médias augmentait par peur de la critique, par les cris aux boycotts et par l’industrialisation du milieu qui a contribué à le vider de substance. Ainsi, des médias même parmi les plus crédibles comme l’Abcdrduson sont confrontés à la volonté des artistes de maîtriser leur image à outrance ; or les interviews sont toujours la porte ouverte à un pas de côté. Zo & Brice, invités chez Mouv’, dépeignent des artistes « control freak ».

Recherche de rareté et crise de confiance

Dans les années 2010, l’artiste du moment faisait toujours un long parcours d’interviews chez tous les médias : Booska-P, Rapelite, Clique… Là où on cherchait à être omniprésent, la stratégie de nos jours vise plutôt à faire une seule apparition clé qui concentre l’attention. En fonction de l’image qu’on veut se donner, on choisira Le Code, Konbini ou Clique.

C’est une réalité : la discrétion des artistes ne tient pas qu’à leur timidité. Depuis un moment, les médias souffrent d’une crise de légitimité auprès du public et des artistes. Du snack content aux questions pièges en passant par la promotion rémunérée, une partie du contenu médiatique s’est vidé d’intelligence et donc d’intérêt car, surprise : ni les artistes ni le public ne sont cons.

Ajoutons à tout cela la peur du bad buzz. Voilà sans doute une autre raison à la discrétion des artistes. Depuis l’explosion des réseaux sociaux, les exemples de bad buzz fondés sur des propos mal interprétés ou sur des séquences d’interview humiliantes se sont accumulés. Ce qui n’arrange en rien le problème précédent, notamment pour des artistes qui percent dans la fleur de l’âge.

Rester à l’écart des médias : un tort ?

Sauf que, n’est pas PNL qui veut. Lorsque l’absence de prise de parole relève d’une véritable philosophie et est substantée par le caractère exceptionnel de la musique et du marketing, tout se passe bien. Pour d’autres, gardons à l’esprit que la rareté n’a de valeur que si l’objet est désiré. Pas vu, pas pris. Etre la hype du moment c’est une chose, perdurer en est une autre et les interviews sont un excellent outil pour y parvenir.

Si certaines têtes d’affiche peuvent se permettre le luxe de la discrétion, la plupart des artistes de la nouvelle génération l’adoptent aussi. Toujours pas d’interview vidéo pour Luther, H Jeune Crack ou La Fève ; qui remplissent pourtant des salles ou des festivals.

Une réalité qui a contribué à la grande remise en question entamée par les médias spécialisés ces deux dernières années : retour des interviews long format, de la presse papier et embryon de critiques crédibles.

C’est quoi la suite ?

Alors non, les médias ne sont pas finito mais leur fonctionnement est en plein renouvellement. Retour au papier et à la critique avec Mosaïque, repositionnement chez Booska-P, leadership sur la prescription et la qualité de contenu chez Raplume.

Néanmoins, le fait est que le public s’oriente de plus en plus vers des personnalités comme Camille Emilie, Alexis Dlv ou encore Yaniss du Rap en Mieux. Le lien humain est plus fort et la confiance plus solide ; tout en laissant une liberté éditoriale bien plus riche puisqu’on intègre plus facilement les incohérences d’un humain que celles d’un média.

📸 Romain Teyssandier