Le rap serait-il en fin de cycle ? Devenu tellement mainstream que des artistes peuvent remplir deux stades en autant d’heures, c’est devenu le genre populaire au sens massif, peut-être donc “pop” du terme. En marge, d’anciens rappeurs façonnent vraiment la prochaine pop. De Disiz & Youv Dee jusqu’à Theodora et Moyá, les esthétiques musicales prometteuses sont portées par des enfants du rap ; qu’ils soient artistes, médias ou programmateurs.
Les inspirations viennent du rock, de la dance music britannique, de la pop Nigerianne ou encore de l’amapiano sud-africain. Bien que le rap ait toujours puisé dans tous les genres, l’écart se creuse. Dans l’émergence, ces artistes ont tout d’une avant-garde très excitante pour la musique française dans son ensemble. Néanmoins, cela pourrait être important pour eux comme pour l’héritage rap de bien nommer les courants.
Toutefois, la gymnastique mentale nécessaire pour accepter le décloisonnement des genres pour une liberté musicale totale tout en s’imposant un vocabulaire sécurisant pour les mouvements culturels est d’un niveau olympique. Il se pourrait même que l’histoire musicale moderne indique qu’elle est encore inatteignable.
Fin de cycle pour le rap mainstream ?
Malgré l’explosion de nouvelles figures excitantes, les deux dernières années de rap ont tout d’une fin de cycle. En tous cas, en ce qui concerne le mainstream. L’un des symptômes, c’est le Top 100 du Billboard 2023 qui, pour la première fois depuis 23 ans, ne comporte pas de titre rap. Fin de cycle, mais pas fin tout court : le rap a déjà préparé son futur.
Portées par les succes organiques d’artistes comme Laylow ou La Fève, les niches fleurissent.
On observe presque une course à la différenciation parfois outrancière, mais justifiée par le refus de s’affilier au mainstream ou de se noyer dans la masse. Bonjour à la plug, la new jazz, ou encore la Detroit. Ainsi, à l’instar du rock ou de l’électro, le rap ne peut plus vraiment se conjuguer au singulier.
Le futur, c’est la pop faite par des enfants du rap
Le rap s’est toujours renouvelé en piochant dans d’autres genres. Dans cet élan créatif, on distingue des tendances qui rompent plus clairement avec les codes du rap. Simultanément, on assiste donc à une réinvention de la pop, allant jusqu’à l’hyper-pop. D’un regard nostalgique dans le rétro, les esthétiques Y2K, de la UK Garage jusqu’aux caméras VHS inspirent notre futur musical.
C’est à se demander si le rap suffit encore à faire rêver les artistes qui regardent vers l’avant.
Les contours de la musique mainstream du futur se redéfinissent ainsi, dictés par l’explosion du reggaeton, de l’amapiano ainsi que par l’immortalité de la chanson ou du pop-rock. Le tout, dans une génération bercée par le rap.
Catégoriser en 2024 : un non-sens nécessaire
Aujourd’hui, les genres ont moins de barrières et les cases ont moins de sens. La liberté musicale
prime par dessus tout, donc créer sans codes est un atout. Quand Youv Dee fait un projet pop-rock, quand Disiz fait un projet pop ou quand Luidji s’inspire de la musique de Bahia, ce qui compte n’est pas le genre mais la qualité.
Seul l’artiste a le droit de décider s’il peut être attaché à la case « rap » ou non. Pour autant, les termes
« chanson » ou « pop » sont parfois plus adaptés et pourtant, délaissés.
Les destins semblent désormais liés : ce sont des médias et des événements identifiés rap qui sont les
premiers à faire briller les artistes comme Kyana, Dali, Arone ou Moyã. Ont-ils tort de faire du hors-piste au détriment de la cohésion du rap, ou ont-ils raison de regarder de l’avant et de combler le vide laissé par le retard des acteurs de la pop ?
Pourtant, dans notre analyse, c’est une réalité : les mots comptent. On se rappellera que l’un des symptômes de la décadence du rock en tant que mouvement culturel (et non dans sa formation instrumentale ou rythmique) fût la généralisation du style pop-rock. La foule néophyte contribue souvent au lissage d’un genre. Dans quelle mesure la victoire structurelle du rap est-elle une victoire culturelle ?
La voix des oubliés
L’histoire musicale moderne n’indique pas d’autre chemin : la marginalité d’humains subsiste à la
popularisation de contre-cultures, en engendrant de nouvelles. C’est cette marginalité qui mérite d’être entendue, avant toute analyse. Pour autant, le nom de sa forme a de l’importance pour
maintenir la représentation de son fond.